Je ne sais plus très bien quelle nuit c'était ... je sais seulement que la routine avait fait de ma vie ce désert affectif, intellectuel qui vous ronge un homme ... vous savez, quand on a passé des années à apprendre, des années à ingurgiter un savoir pour n'en utiliser que le quart dans une profession où on se retrouve bridé, borné, frustré et soumis à des règlements sans fin. Quand à côté de cela vous avez le sentiment qu'on vous a habitué durant vos années d'enfance à avoir un temps de loisir qui vous est après cela dénié par des horaires et des tâches toujours plus astreignants ...

J'ai eu une enfance rêveuse, solitaire mais heureuse ... je voyageais là-haut dans les nuages, je dessinais mes royaumes dans le sable fin des allées, construisais mes chimères dans l'herbe grasse du jardin ou le poil de velours des tapis persans de la salle à manger ... seul à pousser mes voitures et poser mes petits cubes habités de peuples féériques entre les pieds des adultes occupés à dîner sur un dessus de table qui décidément abritait bien moins de secrets que l'entre deux pieds obscur et exigu.

J'ai eu toujours un corps sagement obéissant mais un esprit facétieux et buissonier qui tantôt s'amusait de farces délirantes tantôt s'échappait par la fenêtre des salles de classe pour aller rejoindre les constructions invisibles de mes songes.

L'adolescence vous désapprend à rêver parce que ce n'est pas "raisonnable", parce qu'il faut être "réaliste" et penser aux "choses sérieuses" ... alors on délaisse un peu les rêveries pour "rentrer dans la vie active". Mais en fait d'actif je me souviens surtout de ces longues heures d'ennui où l'envie n'ose pas s'affirmer et où les préoccupations des "jeunes de notre âge" ne sont décidément pas bien convaincantes ni même bien palpitantes ... trop de paraître, trop peu d'être ...

Mais la voie est tracée, et on trouve si peu de prises qui puissent nous raccrocher à autre chose, qu'au final on se laisse dériver avec le fleuve, charrier par les eaux polluées par des désillusions grandissantes ... et on dérive tandis que les semaines, les mois, les années passent ...

Un clavier, un livre, un jeu, tout pourvu qu'on puisse s'évader de ses responsabilités ne serait-ce qu'un court moment ... on triche un peu avec le vide en le trompant avec du plein fabriqué sur mesure. Mais on sent bien qu'il y a plus grandiose, qu'il y a ce petit quelque chose qui rend nos souvenirs d'enfance dorés, qui capte la sensibilité rêveuse lorsqu'elle s'attarde sur une de ces exceptions qui parfois s'aventure timidement dans nos journées ou lorsque le sublime ou le génial l'intrigue ...

Les passions se font moins désastreuses avec le temps, le regard plus posé, plus habitué par le désenchantement et vient le moment où il retrouve le chemin de la pleinitude et de l'harmonie lorsqu'il apprend à relativiser et se "contenter de peu" dans l'immédiat pour espérer davantage pour le lendemain.

C'est à ce moment-là que je me suis pris à observer mes rêves et me demander pourquoi j'avais le sentiment de vivre davantage en mes nuits que mes jours.

Non je ne sais plus quelle nuit c'était mais la lune était pleine et ronde, le ciel immense, lisse et constellé d'un grain brillant; je me souviens de ce silence, de la magie de ces instants paisibles et doux ... ce soir-là j'ai décidé de ne pas me réveiller sur un monde différent de celui où je m'endormais ... je voulais en partir avec ce souvenir, continuer à vivre ailleurs mais avec ce sentiment d'avoir quitté un monde serein et beau où un jour j'aurais peut-être plaisir à reprendre pied, lorsquqe mes voyages oniriques m'auront rassasié les sens et une âme affamés ...

J'aimerais vous inviter à explorer un peu notre imagination ensemble, visiter vos rêves avec vous afin qu'ensemble nous ramenions à ce monde un peu de son imaginaire perdu ...

Je compte bien sur vos âmes rêveuses pour joindre leurs plumes aux miennes afin que soient visitées les recoins les plus profonds et extraordinaires de l'imagination ...

Je vous ouvre la voie, attendez que je rassemble mes notes et nous pourrons y aller, posez vos têtes sur l'oreiller, fermez les yeux et laissez vous porter ...

Votre dévoué serviteur