Nous nous retrouvons à nouveau en cette nuit afin que je vous conte mes premiers pas dans le fabuleux monde des Onirides ...

Avant de vous amener à cheminer sur les routes des peuples Onirides, je veux d'abord en revenir à ma première impression lorsque je franchis l'Arche. Ce n'est donc que lorsque tout mon corps se fut extrait de sous la pesante structure, qu'à mes sens fut offert enfin le loisir de pouvoir contempler le monde dont j'allais apprendre par la suite qu'il était celui des peuples Onirides.

L'arche de ce côté-ci occupait le bord d'une falaise escarpée et m'avait amené à une petite terrasse sans autre issue q'un gouffre béant tout autour, à dix pas de ma position ... il me fallut gagner le bord avant de constater ce phénomène étrange que les Onirides nomment les Grappes de souvenirs ... quelques centaines de mètres en contrebas s'entrechoquaient mollement des milliers, des millions de corps pantelants, indistincts et ailés enlassés par groupes importants ... comme d'immenses ballons de corps soulevés par leurs longues ailes diaphanes frétillantes, et ballotés les uns contre les autres dans des mouvements anarchiques et lent. Et ce spectacle s'étendait à perte de vue en une mer de peaux emeraudes à l'écume d'ailes bleutées.

Je ne saurais dire d'où me venait ce sentiment d'une harmonie apaisante de l'ensemble ... cette impression qui parfois vous saisit devant une fourmillières aux heures les plus chaudes, lorsque le labeur s'effectue lentement, dans un ballet ordonné, régulier. Pourtant comment de pas ressentir l'angoisse de ces corps androgynes et nus contorsionnés, livrés à eux-même dont la seule vie semblait provenir du battement rapide de deux ailes fragiles ...

Ce morbide océan disparaissait quant à lui dans des horizons embrumés, sous un ciel enténébré et parcouru par des vents forts mais doux ...

Alors que j'envisageais déjà confortablement de rebrousser chemin pour me choisir un endroit qui m'inspirerait un peu plus confiance, j'eus la surprise de voir l'une de ces grappes s'élever doucement telle une montgolfière et s'approcher de ma position ... il est une chose que je ne peux vous cacher : je suis d'une incurrable curiosité ! Ca ne me rend pas plus fier pour autant mais mes jambes ont la fâcheuses tendance à se refuser à toute retraite si ma curiosité se retrouve aiguisée en quelque manière que ce soit ...

Aussi est-ce pétrifié que j'assistai à cette étrange manoeuvre d'arrimage qui devait amener une de ces masses cadavériques à se reposer légèrement à mon inveau et s'entrouvrir pour révéler en son sein une cage circulaire dans les motifs de laquelle se nouaient bras et jambes ... seule une ouverture de petite taille humaine permettait d'accéder à un centre que n'occupait qu'un inconfortable tabouret soudé à la structure ... je pense que tout un chacun aurait vu comme moi dans cet évènement une invitation. D'éducation polie et de nature peut contrariante je me fis donc un devoir de ne pas encourir les conséquences d'un éventuel refus de ma part et pénétrai dans la cage aux curieux. Aussitôt l'oiseau dans le nid, aussitôt la cage dorée refermée et envolée ...

Voilà ce qui devait être mon premier pas dans le Monde des Onirides car les secousses me firent rapidement prendre place sur le tabouret qui lui-même, par un saint miracle me transporta instantanément sur la terre ferme du Plateau Oniride, lieu de résidence des peuplades Onirides, érudits du rêve qui se disputent un savoir inestimable, celui du divin Morphée, qui d'après les légendes leur en fit don mais le partagea, à l'image du Dieu des hommes à la Tour de Babel, entre les différents peuples. Or ceux-ci, pour des raisons physiques (que je vous décrirais davantage plus tardivement) ne purent jamais s'associer pour réunir un savoir qui les eut fait régner sur bien des Mondes Oniriques. Aujourd'hui ils sont les bibliothèques vivantes de ce celui-ci pour des raisons depuis longtemps oubliées ...

Je poursuivrais le récit de cette première aventure à notre prochaine rencontre nocturne ...

(Je rajoute pour ceux qui partagent ma curiosité un petit paragraphe décrivant les Grappes de Souvenir et le mythe qui leur est associé chez les Onirides)



Les Grappes de Souvenir

Il est dit dans les légendes orales des Onirides que les Grappes de Souvenir contiennent tous les rêves passés des hommes. Les corps sont ceux des rêves défunts qui viennent se déposer autour des sphères jour après jour ... et peu à peu les sphères remontent tandis que les nouvelles s'ajoutent par en dessous. Seuls les Oniromanciens, maîtres des Onirides, qui ^détiennent le précieux savoir de lire les rêves des hommes savent accéder au centre des sphères pour y consulter les rêves défunts ...

Les Oniromanciens quêtent ainsi parmi les hommes ceux qui sauront transmettre par leurs oeuvres et paroles la sagesse de Morphée à leurs semblables afin qu'ils continuent toujours de rêver ...

Je m'attends déjà à la question que se poseront les plus curieux : mais où sont les rêves vivants ? Comment en viennent-ils à mourir sur ces sphères étranges ?

Ca c'est un autre périple de mon voyage : la visite du Sanctuaire et de la Nécropole des Rêves. Je vous dirais seulement que les rêves ont une vie souvent très courte et qu'ils s'éteignent à la Nécropole sur les sphères fabriquées par eux au Sancturaire.

Il est dit que le jour où les Grappes submergeront le pays des Onirides, le divin Morphée viendra reprendre son pouvoir et retournera habiter le monde des hommes pour y restaurer l'autorité du Rêve en ressuscitant tous les rêves défunts pour le servir.