Comme je ne voudrais pas vous fatiguer avec de vaines considérations techniques sur le comment de mon départ pour le pays onirique je ne vous dirais que, qu'après bien des efforts pour m'endormir, et dieu sait qu'ils obtiennent généralement l'effet contraire, j'avais enfin clos les paupières sur le paysage du plafond et soustrait mes sens à l'environnement de la couette et de l'oreiller.

La difficulté est que lorsque vous avez atteint l'état de sommeil il est difficile de conserver la conscience d'un objectif que vous vous êtes fixé avant que votre subconscient ne reprenne les commandes ...


Pourtant n'avez-vous jamais senti cette conscience partielle venir parfois s'immiscer dans vos rêves pour y influer ou tenter de le faire lorsque quelque chose vous déplaisait profondément ? N'avez-vous jamais senti cette frustration de celui qui dans ses rêves ne parvient à soulever les paupières pour voir ce qui l'environne, qui demeure aveugle à ce dont il rêve ? N'avez-vous jamais eu cet éclair de conscience qui vous a tiré d'un cauchemard avant le moment fatidique et inconcevable, insupportable ?

Aussi est-ce avec la volonté profondément ancrée de trouver une petite issue vers le royaume de Morphée que je me suis abandonné à sa garde ... au rêveur averti il n'échappe pas ce petit détail qui dissimule l'une des nombreuses entrées du pays onirique, cette petite chose qui n'appartient à rien de connu, rien de vécu ...

Lorsque dans la cour d'école de votre enfance vous vous voyez jouer avec votre collègue de travail, votre cousin et un ami d'adolescence et que là, au pied d'un arbre s'ouvre au sol un gouffre d'où jaillit un chant qu'aucune voix humaine ne saurait produire et que le décors y coule liquéfié en une rivière de couleurs vives, alors vous aurez trouvé un de ces endroits où la matière n'est plus celle de vos souvenirs mais celle, pure et sans comparaison du royaume onirique, qui s'échappe par une de ses failles pour susciter l'imagination des esprits humains endormis ...

Il est rare que la rationalité humaine accepte de prêter attention ces détails-là et il est encore plus rare qu'elle conçoive de les retenir ... pourtant combien de génies artistiques ont su puiser à ces sources-là une inspiration qui aura offert à l'humanité ses plus grandes oeuvres ?

Pourtant il arrive qu'un esprit meurtri par l'existence, choqué, violenté par son âpreté soit plus attentif à ce qui le détourne d'elle et lui offre l'évasion. Ne vous êtes-vous jamais demandé où se trouvait l'esprit comateux ? Combien de corps gisent endormis sans que l'esprit ne revienne ? A l'heure qu'il est il est fort à parier que mon corps repose sur des draps blancs sous surveillance respiratoire et qu'on déséspère d'ores et déjà de me retrouver sain de corps et d'esprit ...

Mais peu importe, pourvu que vous vous attardiez à écouter ce que je vous rapporte de mes voyages oniriques dans ces heures nocturnes où mon traducteur somnambule me prête ses doigts pour vous conter mes aventures


Je vous passerais les détails sur les longues heures qui m'ont vu guetter l'indice qui m'amènerait à initier mon voyage ...

L'idée absurde m'avait pris d'accompagner ma concierge au saut à l'élastique à partir du balcon (je ne peux m'empêcher d'y voir le souhait pervers que la mauvaise commère laisse son coeur au bout de l'élastique où ne vienne s'accorcher à la gouttière pour sa plus grande honte et mon plus vif amusement) lorsque soudain j'ai vu sous le balcon cette porte fort étrange qui semblait ruisseler d'une sève épaisse et colorée; avant que mon esprit ne se refuse à accepter la chose et me précipite vers le macadam en entraînant ma cardiaque gardienne de pallier, je me suis élancé vers cette porte pour m'y retrouver proprement englué et avalé.

J'avais passé le seuil du pays onirique et venait de libérer mon subconscient de son contrôle tyranique sur mon libre-arbitre ...

Je pouvais commencer mon aventure extraordinaire sur les sentiers du rêve, loin de la rationnalité bornée de l'esprit humain ...

J'étais aux portes du royaume de Morphée, le divin et puissant maître des songes, l'un des hypnos, les mille enfants du sommeil et de la nuit ...

Devant moi s'étendaient les grandes arches des mondes oniriques, celles qui vous conduisent aux confins de l'imaginaire et au-delà mais je vous conterais la première étape de mon voyage par la suite et vous offrirais alors le loisir d'explorer avec moi ces univers fabuleux à la pointe de votre plume ...

Pour l'heure je laisse un peu de répit à mon aimable traducteur qui aimerait sans doute pouvoir se ressourcer en sa nuit afin d'affronter, reposé, le jour à venir ...

Votre dévoué serviteur